Un sommet crucial pour l’Eglise. Le pape François a convoqué au Vatican, jeudi 21 février, les présidents des conférences épiscopales du monde entier pour travailler pendant quatre jours sur la lutte et la prévention des abus sexuels sur mineurs. Après une année 2018 marquée par de nouvelles révélations sur des agressions sexuelles commises par des hommes d’Eglise, une réaction forte de l’institution catholique est attendue notamment par les victimes de prêtres pédophiles.“L’Eglise traverse une crise aussi grave que celle qui a précédé la Réforme protestante au XVIe siècle. Si elle veut s’en sortir, elle va devoir affronter les questions de pouvoir, de genre et de sexualité”, prévient Josselin Tricou, doctorant en sciences politiques et études de genre à l’Université Paris 8, spécialiste des masculinités au sein de l’Eglise catholique. Et cette réflexion se mène notamment au sein des séminaires, le lieu de fabrique des futurs prêtres.La fin d’un tabouIl existe une vingtaine de séminaires en France de taille variable – d’une vingtaine à environ 80 étudiants, détaille La Croix. Le parcours de formation dure au minimum six ans, avec en préambule une propédeutique – une année de réflexion préalable à l’entrée au séminaire. Au fil de leur formation, les apprentis se confrontent vite aux questions liées à la sexualité et à ses dérives.“Il s’agit de comprendre ce qui est en jeu dans la sexualité d’un individu. Qu’est-ce qu’un être habité de pulsions sexuelles ? Tout cela a été tabou pendant longtemps dans les séminaires, mais ça ne l’est plus depuis les années 1970–1980”, témoigne Luc Crépy, évêque du Puy–en–Velay (Haute–Loire), responsable de la commission permanente de lutte contre la pédophilie. “A partir des années 1980–1990, il y a eu une prise en compte plus importante des sciences humaines (psychologie, sociologie…) pour comprendre la sexualité”, ajoute celui qui a dirigé pendant plus de dix ans le séminaire d’Orléans.“Le célibat et la chasteté posent des questions qu’aucun séminariste ne peut ignorer”, complète Laurent Tournier, l’actuel recteur du séminaire interdiocésain d’Orléans. Concrètement, dès la première année, les aspirants prêtres suivent un module de 28 heures au premier semestre pour apprendre à mieux se connaître. “Deux heures par semaine, il s’agit d’un travail de relecture de son parcours avec des psychologues et des coachs personnels pour évoquer les failles, les fragilités, les douleurs”, poursuit Laurent Tournier.Une génération “confrontée” à la pornographieLe cours est complété par une session de deux jours en janvier sur la dimension affective et sexuelle, “afin de parler de la chasteté sous toutes ses dimensions”. Cédric Anastase, jeune prêtre de 32 ans au sein du diocèse de Paris, s’en souvient bien : “Toutes les questions de sexualité étaient abordées. Cela nous permettait de nous demander si l’on se sentait prêt à vivre le célibat. Ça nous remuait beaucoup.”Il s’agit pour nous de former des individus mûrs et équilibrés.Luc Crépy, évêque du Puy–en–Velayà franceinfoLors de leur deuxième année, les séminaristes suivent ensuite un module consacré aux addictions. “On évoque aussi bien les addictions aux jeux vidéos, à l’alcool, mais aussi à la pornographie”, explique Laurent Tournier, qui estime que la totalité des aspirants y a déjà été “confronté”. Une réalité qui oblige à changer l’approche de la formation au sein des séminaires. “On nous a parlé très clairement des méfaits de la pornographie d’un point de vue psychologique, cela peut être destructeur”, se souvient ainsi Cédric Anastase, qui a été ordonné prêtre il y a moins de quatre ans. Pour lui, un excès de pornographie peut avoir des incidences néfastes sur la sexualité.Par ailleurs, tout au long de leur parcours, les séminaristes échangent avec un “père spirituel”, notamment au sujet du célibat et de la sexualité. “La fréquence des rencontres est assez élevée lors du 1er cycle, de l’ordre de 45 minutes tous les 15 jours“, indique Laurent Tournier. A travers ces entretiens, certains séminaristes se rendent compte qu’ils ne pourront pas aller au bout du cursus. “A Orléans, 40% environ arrêtent au bout du 1er cycle, et 15 à 20% lors du deuxième cycle. C’est généralement eux qui décident de partir, mais il peut arriver que l’on prenne la décision pour eux”, détaille le recteur du séminaire d’Orléans. Bientôt des interventions de victimes d’actes pédophiles ?Un cours de morale sexuelle est également dispensée en 3e et 4e année sur 90 heures. Comme l’indique le plan de cours disponible (lien PDF, pages 16 à 20), les questions liées à l’homosexualité, à la “théorie du genre” ou encore à la pédophilie sont largement discutées. “Avec l’intervention de pédopsychiatres, de juristes, on s’interroge sur la structure psychologique d’un pédophile, on détaille les conséquences sur les victimes et on souhaite qu’ils connaissent la loi”, détaille Luc Crépy. Je ne considère pas les séminaristes comme des pédophiles en puissance, mais il est aussi important de leur apprendre à déceler des comportements chez des jeunes qui pourraient indiquer qu’ils sont victimes d’abus.Laurent Tournier, recteur du séminaire d’Orléansà franceinfoDepuis 2016, de nouvelles directives venues de Rome insistent sur la place à donner aux victimes. “L’an prochain, on a le projet de faire venir des victimes aux séminaires pour ne pas aborder la question uniquement de manière théorique”, précise Laurent Tournier. La question de la pédophilie est également abordée de manière claire à d’autres reprises dans la formation, notamment lors de la formation obligatoire au Bafa (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur). Enfin, lors d’un cours de théologie pastorale, les futurs prêtres travaillent sur la brochure Lutter contre la pédophilie éditée depuis 2003 par la Conférence des évêques de France.”Il y a toujours des brebis galeuses”Les responsables de formation interrogés l’assurent : de nombreux rappels sont faits au fil des années sur ces questions centrales touchant au célibat, à la sexualité et à la pédophilie. “Cela permet aux formateurs de voir si ce sont des gens capables d’avoir du recul sur leur sexualité ou pas, affirme Luc Crépy. Les séminaristes font également des stages, lors desquels il y a une vigilance exercée de la part des formateurs pour vérifier si la maturité est suffisante, si l’attitude est compatible notamment avec les jeunes.” “Désormais, il n’y pas de séminariste qui sorte de sa formation sans avoir entendu parler de ces questions-là”, assure Luc Crépy à franceinfo. Malgré cela, l’évêque du Puy–en–Velay reconnaît que le risque zéro n’existe pas : “Quand on a des candidats qui sont vraiment pervers, ils passent à travers le système. Comme chez les profs de sport, comme chez les animateurs… Il y a toujours des brebis galeuses – d’où la nécessité d’avoir également des mesures de vigilance et de prévention au sein des paroisses.”Je ne peux pas promettre qu’un malheur ne se produira plus jamais.Luc Crépy, évêque du Puy–en–Velayà franceinfoMais selon le chercheur Josselin Tricou, qui a également passé dix ans à se préparer à devenir religieux avant de renoncer, l’Eglise a encore beaucoup de travail devant elle. “Je pense que le sujet est systématiquement abordé sur le mode prudentiel, ‘faites attention à ne pas rester seul avec un jeune’… Mais les questions de sexualité restent difficiles à aborder.”“Une imposition institutionnelle du silence”Ce spécialiste de la masculinité au sein de l’Eglise regrette notamment les directives de 2005 qui refusent l’accès à l’ordination à des séminaristes assumant des tendances homosexuelles “enracinées”, comme le détaille La Vie. “Ce contexte augmente la réticence des séminaristes à s’exprimer sur leur sexualité, regrette Josselin Tricou. Il dénonce ainsi une hypocrisie étant donné la part importante, selon lui, de prêtres homosexuels au sein de l’Eglise, et s’inquiète de l’amalgame opéré par une partie du clergé entre homosexualité et pédophilie.Cette imposition institutionnelle du silence crée une incapacité de l’Eglise à déceler des gens qui auraient des tentations problématiques.Josselin Tricou, spécialiste de la masculinité au sein de l’Egliseà franceinfoEt en créant un amalgame sur tous les types de sexualités considérées comme déviantes, difficile pour l’Eglise de repérer les problèmes : “Au sein de l’Eglise, le critère de la ‘mauvaise sexualité’ n’est pas le consentement. Pour l’institution ‘une bonne sexualité’, c’est uniquement un acte au sein d’un couple marié et hétérosexuel”, analyse le chercheur.Il invite enfin l’Eglise catholique à prendre en compte les enjeux de pouvoir dans la formation du clergé : “Le pouvoir du prêtre est toujours verbalisé en ‘service’. Le prêtre est celui qui sacrifie sa sexualité et sa vie conjugale pour se mettre au service de sa communauté. Cela vient euphémiser les rapports de pouvoir, car on a du mal à imaginer qu’il puisse y avoir des ‘abus de service’.” Or, selon lui, “il faut penser les abus sexuels comme des abus de pouvoir. C’est souvent une emprise psychologique, comme le montre le prochain grand scandale au sein de l’Eglise avec la révélation des abus sexuels et psychologiques sur des religieuses”.Les autorités religieuses reconnaissent qu’il reste du chemin, mais préfèrent insister sur les progrès déjà effectués. “Je pense quand même qu’il y a une prise de conscience. Tout n’est pas réussi, tout n’est pas abouti, mais on avance, assure Luc Crépy. On peut encore être plus à l’écoute des victimes. Il faut encore avancer notamment sur la formation de nos candidats”, ajoute-t-il. Une parole optimiste partagée par Laurent Tournier : “On parle toujours des trains qui n’arrivent pas à l’heure, mais pour la grande majorité des prêtres les choses se passent bien. L‘Eglise, ce n’est pas que les prêtres pédophiles.”
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