Romain Goupil à propos des Jours Venus: “Je suis bien pire qu’avant !”

Dans Les Jours Venus, le cinéaste Romain Goupil prolonge sa réflexion sur ses idéaux de 68 en les confrontant avec le temps et la réalité de notre société moderne. Un film léger, lumineux et sans aucune once de cynisme. Rencontre avec un petit malin!

AlloCine : “Les Jours Venus” est un film sur la transmission…

Romain Goupil: Il y a en effet au coeur des Jours Venus la relation entre un père et son fils. Moi qui suis en position de fils avec mon père et moi qui deviens père avec mon fils…

Et cette dynamique de transmission sous-tend tout le film. On peut la voir y compris dans la dernière scène, celle du tournage. Le cinéma est un médium de transmission, parfois frôlant le ridicule…

Le communisme expliqué par le Vélib’

Dans “Les Jours Venus”, vous expliquez le principe du communisme à travers l’exemple du Vélib’…

Et de son impossibilité !

Une impossibilité illustrée justement par une autre scène du film dans laquelle votre fils est arrêté par la police pour avoir justement vandalisé des Vélib’…

Effectivement, comment faire quand son propre fils annule vos utopies ! (Rires) A propos du Vélib’, c’est tout de même hallucinant ! On met à disposition de façon collective, sur le budget de la ville de Paris en l’occurrence, un dispositif assez sophistiqué avec des bornes équipées d’ordinateurs qui sont à disposition de tout le monde. Si on utilise un Vélib’ 29 minutes, qu’on le remet et qu’on attend 5 minutes, on peut en reprendre un comme ça, et se balader ainsi toute la journée pour un abonnement de 29 euros par an, ce qui est le minimum pour l’entretien. En clair je paie une “taxe” pour que tout le monde puisse profiter le vélo de tout le monde. A priori on devrait en prendre soin car un Vélib’ c’est “ton / mon vélo”. Dans le film, comme dans la vie, je prends un vélo, je regarde s’il fonctionne. S’il ne fonctionne pas, il y a des mecs qui sont alloués au bon fonctionnement du système général qui regardent si les pneus sont crevés, si un truc déconne, si l’éclairage marche… Et si tout fonctionne, en avant ! Je fais mon chemin, je le repose… Après un mec va reprendre mon vélo, ou un autre. Si je veux pédaler vite, je pédale vite. Si je veux aller lentement et aller simplement 100 mètres plus loin, je peux. Personne ne m’impose rien. Et même si je dépasse le temps, c’est effectivement un peu plus cher mais ça va. Je le fais en fonction de mes capacités. Si je veux aller à Belleville ou si je veux monter Montmartre, je fais ! C’est une application pour tout le monde, collective. Sur le papier, on devrait se dire que ça pourrait se développer.

Comment faire quand son propre fils annule vos utopies ?

Mais ce que je raconte dans le film n’est pas une blague. Tu t’aperçois qu’il y a des mecs qui s’organisent pour que ce truc collectif ne fonctionne pas. Ils crèvent les pneus, ils défoncent les bornes avec une bagnole, le tout pour nuire le plus possible. Ils les piquent pour faire des concours terribles, ils descendent de la butte Montmartre à toute vitesse pour finir par les larguer dans le Canal St Martin. On peut voir des images de ces concours sur le web ! Comment arrive-t-on à inventer des concours comme ça pour foutre en l’air ce bien commun ?

La scène du Vélib’ dans Les Jours Venus est complètement déconnante. Je jouis d’une idée qu’on a eu quand on était mômes et en même temps j’en montre son impossibilité et de sa perversion.

Là tu te dis par rapport au communisme, pour revenir au thème de votre question, c’est l’idée du partage. Pas besoin d’accumuler des dizaines de voitures, des portables, des maisons, on met en commun un bien pour en profiter tous. C’est un fonctionnement que l’on pourrait appliquer à bien d’autres activités et domaines : faire du pain… On pourrait répartir autrement pour en profiter tous. Il y a un “salaire commun” avec une hiérarchie limitée, tel était le but d’origine proposé par le communisme. Dans une application qui est toute bête comme le Vélib’, les mecs vont créer quelque chose pour bousiller alors que ça marche. La scène du Vélib’ dans Les Jours Venus est complètement déconnante. Je jouis d’une idée qu’on a eu quand on était mômes et en même temps j’en montre son impossibilité et de sa perversion.

C’est aussi ce qui fonctionne pleinement dans votre cinéma. Vous injectez votre vie et votre expérience de vie. “Les Jours Venus” est, à ce sens, aussi un composite de vos films précédents, de votre expérience de cinéma.

Cela avance par strates. Comme des choses dissimulées que l’on voit apparaître puis disparaître. La scène du Vélib’ et du communisme fait écho ensuite dans la scène de la belle-mère dans le parking. Quand je me retourne après avoir obtenu une place de parking, grâce à l’intervention de la belle-mère, laquelle a fait référence à Tito dans sa discussion avec les gardes du parking, je leur dis “Vous avez de la chance d’avoir une grand-mère communiste !” (Rires) J’essaie de faire en sorte que les scènes se répondent entre elles tout en ouvrant sur autre chose. Cette scène du parking provoque également le discours de la belle-mère sur l’époque de Tito. Elle raconte à quel point c’était facile de se promener à l’époque, que les gens n’avaient peur de rien, que tout le monde avait le même salaire et ne foutait rien. (Rires) Pour elle, la société actuelle lui apparaît comme absolument invraisemblable. Elle a vécu cette époque, qui lui apparaît comme une utopie. Elle a une nostalgie “titiste”.

Une caméra d’or de l’inconscience cinématographique

A propos de la photo ci-dessus : Cette photo est complètement démente. Imagine, pour ton premier film… Je fais Mourir à Trente ans, pour mon copain (ndlr: Michel Recanati, décédé en 1978) sans jamais avoir la conscience que cela va devenir un film de cinéma. On fait le montage dans une salle située au-dessus du cinéma Le Racine (ndlr: aujourd’hui “Le Nouvel Odéon”), sur une vieille table de montage qui ne valait rien et qu’on bricole. On a tout ce petit dispositif mis à disposition indéfiniment par Marin Karmitz. Six mois, un an, deux ans… Nous n’avons pas de limite. J’ai le temps de construire. Quand je termine le film, la projection a lieu en-dessous, dans la salle du Racine donc. Les 300 personnes présentes ce jour-là dans la salle sont plus ou moins les mêmes que j’invite à voir encore mes films en premier. Ce sont eux qui sont venus voir Les Jours Venus le 8 janvier dernier. En réalité ils sont un peu plus nombreux, désormais il y a les enfants… mais c’est la même bande. C’est pour eux que Mourir à trente ans avait été fait. A l’époque, si le film et l’histoire que je raconte leur convient et qu’elle protège la mémoire de Michel, tout en restant critique, je suis le plus heureux des hommes. Une fois cette projection achevée, pour moi c’est fini. Je suis ravi. Mais Marin montre Mourir à trente ans à quelques personnalités en vue de la Semaine de la Critique. Chazal le voit…

Robert Chazal, critique à France Soir, avait quasiment droit de vie et de mort sur un film à l’époque…

Oui mais je ne le connaissais pas moi ! (Rires) Et France Soir pour nous à cette époque était à l’opposé de nos convictions. Toujours est-il que Chazal déclare qu’il veut ce film. Il en tombe amoureux sans que je comprenne vraiment pourquoi. Je ne connaissais rien au cinéma ou à son organisation. Il prend mon film, il descend à Cannes et le défend à la Semaine de la Critique avec Jean Roy. A l’époque il n’y avait pas de jury, tous les journalistes notaient le nom du film choisi dans une enveloppe déposée dans une vieille boîte en vue de la remise de la Caméra d’Or. C’est amusant car depuis cette époque et pour cette raison, je ressens toujours un immense plaisir en pensant à ces journalistes. Ils ont vu mon film, ils se sont déplacés, ils ont choisi mon film, ils ont déposé son nom dans un carton… A partir de ce moment-là, ce film me dépasse complètement.

A un moment donné, le succès de “Mourir à Trente ans” me dépasse complètement…

Avant la cérémonie de clôture, j’étais rentré à Paris donc on me rappelle, on me dit de redescendre à Cannes. Je n’avais alors passé que 3 jours à Cannes pour montrer le film, 3 jours dans une petite chambre avec la monteuse, d’ailleurs on avait passé très peu de temps dans cette chambre puisqu’on faisait tout le temps la fête ! (Rires) Tout était délirant pendant la présentation à Cannes : la projection, les conférences de presse, la fête… En plus on était alors en 1982, Mitterrand venait d’être élu, c’était un bordel, on pensait que tout allait changer… Le film racontant aussi les événements de 68 était lié aux gens qui étaient alors à Cannes et même directement au Festival avec l’arrêt de l’édition de 1968. Il y avait un vrai lien. Le film est alors vraiment poussé par les journalistes qui vont incroyablement m’aider et me donner ce prix.

On arrive sur la scène et là Steven Spielberg me remet le prix… une vraie caméra !

Je me retrouve donc reconvoqué à Cannes et on me prévient que je vais avoir un prix… et que je dois avoir un costard ! Je n’en avais pas un seul à l’époque ! J’ai donc dû en emprunter un, avec un pantalon qui va pas, une cravate… Tout cela se passait dans l’ancien palais, qui me paraissait immense avec mes yeux de môme. J’avais jamais vu une salle aussi grande. Les 700 ou 1000 places de l’ancien palais me semblaient 10 000 ! On arrive sur la scène et là Steven Spielberg me remet le prix… une vraie caméra ! Je commence à la regarder et je gueule “Où est le pied ? Où sont les magasins de pellicule ? Où sont les batteries ?” Fou rire général… Je prends la parole après Spielberg, qui venait alors de montrer ET, et je dis que si c’est la première fois qu’ils nous voient à Cannes, considérant que le fait qu’à nous deux Spielberg et moi avons à peine 60 ans, ce n’est sûrement pas la dernière. En fait je m’étais un peu trompé dans mes calculs et, si c’était prémonitoire pour Spielberg, ça l’était un peu moins pour moi ! (Rires)

Il y a aussi cette anecdote à propos de cette fameuse caméra. Une caméra qu’on vous a demandé d’échanger…

Costa Gavras et Yilmaz Guney ont partagé une Palme d’Or cette année pour Missing et Yol La Permission. Ces deux enfoirés essayaient en effet de me fourguer leur demi Palme contre ma caméra ! (Rires) Ils me poursuivaient dans les coulisses et moi je les envoyais balader ! C’est avec cette même caméra que j’ai tourné deux autres films.

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Romain jeune, Romain vieux…

A propos de la photo ci-dessus : C’est la période de la création des comités d’action lycéens. Je le reconnais à la chemise et aux cheveux. On doit être en avril 1968 et, à la suite de mon exclusion, on met en place le comité d’action lycéen, créé après le “Mouvement du 22 mars” des étudiants. On avait fait des manifestations lycéennes très importantes pour l’époque, avec par exemple 5 ou 600 mômes devant le lycée Condorcet… C’était extrêmement tendu, il y avait beaucoup de bagarres ! Je fais un discours le jour de la création du comité, un speech d’orateur comme dans les livres… Mais au lieu d’improviser et de sentir la foule, ce que je fais tout le temps, j’avais écrit une sorte de démonstration pour que les masses comprennent. Sauf qu’en face de moi j’avais tous mes copains ! Ils étaient déjà tous acquis à la cause. J’ai donc fait un discours vachement sérieux, scolaire en quelque sorte. Forcément ça s’est transformé en fou rire, je n’arrivais plus à lire certains passages… Cette photo date donc de cette période et j’ai quelque chose comme 17 ans.

Au-delà de l’anecdote, et parce que “Les Jours venus” traite aussi de cela, j’ai l’impression que de plus en plus vos films traitent de ce passé. Il y a une réflexion sur vos combats de jeunesse et sur vos idéaux. Vous avez une vision aujourd’hui, avec du recul, sur ce que vous avez fait avant. Mais sans cynisme, jamais.

En tant que citoyen ou militant, je suis amené à prendre des décision binaires : “On va attaquer ce truc là”, “On va occuper ce bâtiment”, “On va déclencher une action ici”… C’est tout aussi vrai pour les manifs étudiantes que pour la Bosnie. Quand je m’engage de manière virulente sur l’Irak, le Rwanda ou la Tchétchénie, c’est la même chose. Et ça fait un bordel. (Rires) Je suis amené à fonctionner de manière assez manichéenne, dans les discours, pour amener à une décision. Dans le cinéma, je peux au mieux rêver qu’à un moment le spectateur ait une réflexion. Je pose une question pour interroger et pas du tout pour apporter une solution de type militante dans un film. En aucun cas.

Je pose une question pour interroger et pas du tout pour apporter une solution de type militante dans un film. En aucun cas.

Le cinéma ne peut pas être militant ?

C’est une aberration. C’était déjà le cas de Mourir à 30 ans. Je n’ai jamais été fasciné par le cinéma dit “militant” qui doit montrer ou édifier les gens. Du coup, contrairement à mes actions, souvent manichéennes, le film permet de prendre du recul, permet par des scènes de fiction avec des comédiens de casser la vérité ou d’y opposer quelque chose de plus concret. Les décisions que tu prends à chaud peuvent entrainer des catastrophes. Quand Steven Spielberg fait un film, son but c’est qu’une grande majorité de gens, dont moi, sursaute de peur quand la barque se retourne. Et Spielberg est un vrai génie. Ce boulot, il le pense et le réfléchit potentiellement pour la terre entière. Moi, pas du tout ! Je pense que personne ne doit réfléchir à mes films d’une certaine manière. Exactement comme quand on lit un bouquin. Deux lecteurs n’auront jamais les mêmes images au même moment. Tu peux lire un bouquin d’une traite ou le mettre de côté pendant un an, tu peux surligner une phrase que tu estimes géniale… un autre lecteur à côté de toi aura retenu une autre phrase. Un film doit créer la réflexion. Mon objectif majeur pour un film c’est de pousser à cette interrogation. En aucun cas apporter une solution, encore moins définitive.

Pour prolonger cette réflexion, il y a une citation très signifiante de votre cinéma dans “Les Jours Venus” : “Le cynisme est le langage des vaincus”. C’est aussi pour cela que vous vous battez encore à travers vos films…

Sans faire le petit malin, même si je le suis, je dois avouer que je suis bien pire qu’avant ! (Rires) Quand j’étais gauchiste et que j’utilisais l’outil révolutionnaire, je faisais partie de ces mômes essayant de reproduire 1917. Aujourd’hui avec le voyage que j’ai fait, ce que j’ai vu et fait, les critiques et les auto-critiques… Je suis encore plus révolté face à l’intolérable, de façon beaucoup plus virulente que quand j’étais môme. C’est aussi pour cela que je ne suis pas du tout cynique. J’ai conscience que le temps passe beaucoup trop vite, sans ressentir la moindre nostalgie, ni regrets. Je ne comprends pas quand on me dit que c’était mieux avant, même si je suis conscient qu’il y a une régression actuellement. Cela m’a fait tout drôle d’allumer des bougies à République… Je ne suis pas cynique parce que je suis aussi virulent et révolté, si ce n’est plus, qu’avant. Je n’ai pas du tout laissé tomber, quitte à me battre avec mes ex copains à propos par exemple de la Tchétchénie ou de la Yougoslavie.

Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 28 janvier 2015

La bande-annonce des “Jours venus”, en salles ce mercredi 4 février :

Les Jours venus Bande-annonce VF